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La compagnie des aînées
Quand j’étais petite, souvent je me prenais à m’imaginer déjà vieille. Je ne m’imaginais pas entourée d’enfants et de petits enfants, non ; je me voyais plutôt solitaire mais non seule. J’imaginais que j’aurais « roulé ma bosse », que j’aurais vu du pays et que je serais remplie de toutes ces images, toutes ces expériences, toute la sagesse acquise au fil des années et des décennies.
Jeune femme, vers 21-22 ans, j’attendais même cette étape de ma vie avec impatience. Je trouvais la pression trop forte : il fallait s’habiller de telle ou telle manière de façon à se sentir acceptée, il fallait lire les bons bouquins, écouter la bonne musique, réussir ses études, trouver du travail, avoir un copain, avoir une vie « intéressante » à tout prix. Je trouvais ça épuisant et je ne me sentais jamais à ma place. Je me demandais : c’est ça la vie ? N’y a-t-il rien d’autre que cette course effrénée aux apparences, aux savoirs, aux diplômes ?
Aujourd’hui, j’ai 35 ans et je me sens beaucoup plus apaisée, mais je me rends compte que je m’entends beaucoup mieux avec des personnes plus âgées que moi. De Beaucoup. J’adore la compagnie des femmes plus âgées, de celles qui ont déjà vécu leur « vie active », élevé des enfants (ou pas) et qui sont maintenant dans la troisième phase de leur vie, celle que j’imagine être celle de la sagesse : on n’a plus rien à prouver au monde, extérieurement, on peut sembler avoir une vie très simple et peut-être même ennuyeuse, mais ce n’est qu’une façade. A l’intérieur, ce sont de nouveaux mondes qui s’ouvrent quotidiennement, des intuitions qui se font de plus en plus profondes, des réalisations d’ordre spirituel qui deviennent de plus en plus présentes. J’imagine cet âge comme celui auquel les femmes auront dépassé et fait la synthèse de tous les rôles différents qu’elles ont été amenées à jouer au cours de leur vie, simultanément ou les uns après les autres : la voyageuse, la jeune femme, l’intellectuelle, la mère (ou pas), l’adolescente, l’épouse (ou pas), la femme active, la petite fille, la compagne, la grand-mère (ou pas), l’aventurière… J’admire les femmes qui y parviennent réellement car nos vies sont tellement fragmentées, à l’image de la société moderne occidentale. En anglais, on les appelle les « crones », ces aînées qui n’ont pas peur de la vieillesse, pleines de sagesse, un peu sorcières, un peu magiciennes, qui sont issues de longues lignées matrilinéaires. Elles m’inspirent, me guident, sont pour moi un exemple à suivre. Elles ont comme atteint un stade où elles incarnent la mère universelle, celle qui ne fait plus de différence entre ses enfants et ceux des autres : elle accepte tout le monde et prête à tous une oreille attentive et bienveillante. Tout ça n’est peut-être que le fruit de mes propres projections ; j’ai pourtant l’impression d’en connaître de ces femmes-là et j’aimerais un jour faire partie de leur cercle.